Programme "Raison, religion et croyances populaires, débats entre savants XVIIème-XVIIIème siècle"

Responsable scientifique : Françoise Knopper.


Ce programme de l’IRPALL a été traité dans le cadre d’un partenariat entre les universités de Toulouse-Le Mirail, Lyon 2, Reims et Halle-Wittenberg (Allemagne) et bénéficié du soutien financier d’un GIS, le Centre Interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’Allemagne (CIERA).

Prévu pour deux ans (2009-2011), il a porté sur les composantes religieuses de débats entre intellectuels au XVIIe et XVIIe siècle, plus précisément en lien avec la vision qu’ils avaient du peuple et des croyances qu’ils qualifiaient de « populaires ». Deux interrogations avaient été posées au départ : outre le combat mené au nom de la raison contre la superstition, qu’il faudrait rappeler, y aurait-il des recoupements éventuels entre les croyances des élites et celles attribuées au peuple ? et n’y aurait-il pas parfois une utilisation détournée des thématiques religieuses pour atteindre d’autres objectifs 

Ont été organisés trois journées d’études (Toulouse et Lyon) et deux colloques (Reims et Halle), débouchant sur deux publications collectives. Les réflexions ont commencé par l’examen de la sorcellerie, significative des savants débats sur les rapports entre raison et religions. Un pan de l’identité culturelle germanique s’est constitué autour de la lutte contre ce type de croyances et de pratiques sociales car, en Allemagne, cette lutte a commencé tardivement, avec les prises de position de Spee, Meyfahrt puis de Thomasius. Les exposés faits lors des deux premières journées d’études ont illustré la discontinuité de cette lutte, ce qui a semblé imputable à la distorsion entre discours et savoir, au fait que les discours religieux, juridiques, médicaux et politiques ne coïncidaient les uns avec les autres que rarement. Et au fait que, même s’ils convergèrent à partir des années 1780, la persistance des croyances populaires posa un problème que les uns et les autres n’entendirent pas résoudre una voce : en effet, les intérêts des Etats ne recoupaient pas nécessairement ceux de catégories sociales attachées à préserver leur statut. L’éventuelle corrélation entre les débats entre savants et les mesures politiques et pénales méritait donc d’autant plus de retenir l’attention.

Réunissant des anglicistes et des germanistes, ces réflexions et les discussions nous ont ensuite amenés à évoquer sorcellerie et magie dans une perspective européenne, à partir du Faust anglais de Marlowe ainsi que dans des pièces de théâtre allemandes. Partout se constatent la critique du savoir universitaire, la tentative de le remplacer par la magie comme savoir alternatif, le passage de l’expérience scientifique à l’expérience vécue et à la connaissance des hommes, les notions chrétiennes du diable ou de l’enfer se transformant en éléments structurants de la psyché.

Une troisième journée a eu lieu à l’université de Lyon 2. De nouvelles questions ont alors été débattues, telles que : quel était en définitive le sens de « wonder/Wunder » : miracle biblique ? acte de magie ? clin d’œil aux farces carnavalesques? Et la relativisation de la religion constituait-elle une attaque de la religion ?
Le colloque qui a suivi s’est tenu à Reims. L’objectif était d’inviter, outre des précédents intervenants, des spécialistes d’autres disciplines (théologie, histoire, médecine) et de divers pays (France, Suisse, Allemagne) afin d’examiner des enjeux terminologiques et de formuler des traits définitoires des croyances dites « populaires ». Un consensus s’est fait autour de « croyances du grand nombre », d’une masse qui tendait à échapper au contrôle des institutions et se caractérisait par la constance de ses pratiques (confréries, pèlerinages par exemple). Et inversement, plutôt que de culture « élitiste », il a semblé préférable de parler de « culture du savoir ». Ce dernier concept semble d’autant plus opératoire que – si on analyse des débats internes aux détenteurs du savoir et du pouvoir, médecins et théologiens, autorités civiles et religieuses – on remarque qu’ils parvenaient à des conclusions contraires en s’appuyant sur des dispositifs spécifiques. Tel médecin, malgré un discours médical moderne, pouvait recourir à d’autres modes de pensée pour expliquer ce qui, du point de vue de la raison, demeurait inexplicable. Inversement, un théologien, s’appuyant sur un discours médical obsolète – la théorie des humeurs –, réfutait, au nom de critères religieux, l’idée d’une possession par le démon. Réceptacle d’angoisses, le mythe de la sorcière a perduré jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à vrai dire sous une forme sécularisée, dans les considérations médicales de scientifiques qui s’efforçaient de trouver des causes aux maladies, comme le faisait Tissot. Lors de cette manifestation, il a été envisagé de creuser plus tard, indépendamment de contextes religieux, le paradoxe d’une culture populaire qui visualise les notions et qui reste pourtant codifiée.

Un colloque final a scellé notre coopération avec l’université de Halle-Wittenberg, notre partenaire allemand. Il s’agissait cette fois d’examiner par quels canaux les critiques faites aux croyances « populaires » pouvaient se diffuser et comment les autorités politiques et ecclésiastiques entendaient influencer et canaliser cette diffusion. Recourir à la notion de circulation des savoirs a requis de croiser des problématiques littéraires et culturelles, de prendre aussi en compte l’histoire du livre, et des médias. Les participants invités ont été des spécialistes de l’histoire culturelle, de la pensée juive, des historiens du livre ainsi que des comparatistes et des germanistes. Deux orientations ont caractérisé les exposés et les débats : la fluidité de la circulation du savoir par le biais des périodiques ou des catalogues de bibliothèques, et les motifs de la publicité qu’ont connue plus spécialement certaines polémiques. La description des différentes manières de rendre le savoir accessible à un large public a suscité de nouvelles questions : quel était exactement l’écho de ces revues qui souhaitaient populariser les connaissances ? que signifie « opinion publique » dans ce contexte ? ne serait-il pas légitime de travailler sur d’autres supports que les revues ?
De ces rencontres a résulté la volonté de lancer une collection aux éditions universitaires de Halle Wittenberg (elle a publié depuis lors cinq volumes).

Notre réseau s’est donc institutionnalisé et le partenariat de ces quatre universités s’est prolongé depuis 2011, en effectuant cependant un resserrement autour de thèmes de recherche bi-disciplinaires et de l’étude d’auteurs se situant au carrefour des Lumières allemandes et françaises. L’Institut IRPALL a eu ici incontestablement la fonction d’un incubateur puisque cette opération pluridisciplinaire a ouvert la voie à un partenariat pérenne et matérialisé par le lancement d’une collection universitaire. Sur un plan quantitatif, les intervenants et le public ont été composés pour moitié d’enseignants chercheurs et pour moitié de doctorants, d’étudiants de master, germanistes, romanistes, comparatistes, historiens, philosophes.