Interview François-Charles Gaudard

 

Interview de François-Charles Gaudard à propos de la sortie de son ouvrage
Le Spleen de Paris : « petites babioles » et « bagatelles » de Baudelaire.


François-Charles Gaudard est professeur émérite de langue et littérature française, du laboratoire LLA CREATIS. Spécialiste de poésie française des 19e et 20e siècles, son intérêt ininterrompu pour les arts l'a conduit à s'intéresser à la spécificité des langages et des discours artistiques et aux relations de complémentarité voire d'opposition qui peuvent les unir. Lié à Baudelaire, il achève et publie cette année un ouvrage qui donne des clés pour une lecture personnelle et approfondie des poèmes qui composent Le Spleen de Paris.

Entretien avec le professeur François-Charles Gaudard, par Elodie Herrero (CPRS) et Christine Calvet (Institut IRPALL)

Elodie Herrero (EH) :

Votre ouvrage intitulé  Le Spleen de Paris. « Petites babioles » et « Bagatelles » de Baudelaire est paru cette année dans la collection « Champs du Signe » que vous avez fondée en 1991. Sur le 4ème de couverture, on peut lire cette remarque : « On peut se demander si l’auteur de ce livre n’a pas lui-même retrouvé ses pinceaux pour l’écrire… » Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, est-ce en lien avec le portrait du poète par Gustave Courbet choisi pour la couverture ?

François-Charles Gaudard (FCG) :
Le tableau n’est pas lié au 4ème de couverture qui a été rédigée par quelqu’un qui connait bien mon parcours. En effet, j’ai fait des études aux Beaux-Arts dans les années 60. Mais j’ai écrit ce livre avec ma plume ou mon clavier d’ordinateur plus exactement. La compréhension de Baudelaire, pour quelqu’un qui aime la littérature n’est pas si simple.  Baudelaire, à son époque, est avant tout un critique d’art. Il fait de multiples compte-rendus dont ceux des Salons officiels de peinture et de sculpture, il est, si j’ose la comparaison, une sorte de journaliste freelance invité partout. En 2016, un tableau plus connu de Courbet a été restauré. Il s’agit de « L’Atelier » où l’on peut reconnaitre dans le coin à droite Baudelaire. La modernité de Baudelaire est déjà là : peinture, poésie, critique d’art dans le même atelier. Au 19ème siècle, on décloisonne, les arts se décloisonnent. Et on ne peut comprendre la création poétique baudelairienne sans tenir compte de sa connaissance des arts, c’est indissociable. C’est l’entrée que j’ai choisi pour cette monographie.

Christine Calvet (ChC) :
Ainsi vous avez reçu une formation aux Beaux-Arts, dans des lieux fréquentés avant vous par Ingres, Carpeaux, Moreau, Matisse, Brancusi ou plus près de nous, Carole Benzaken, Marc Desgrandchamps. Voilà un univers bien différent de celui des campus. Une telle formation, dispensée en atelier, a-t-elle eu une réelle incidence sur ce volumineux travail universitaire de 450 pages ? 

FCG :
Oui, très certainement. Je peux vous faire un aveu, je suis sorti du lycée en partie dégoûté de la littérature ! Les Beaux-Arts, du coup, c’était un ailleurs à découvrir. J’ai fermé les livres et j’ai appris à voir. En regardant autrement, j’ai rouvert les Fleurs (Les Fleurs du Mal) et comme le temps avait passé, je les ai lus, si je puis dire, comme des tableaux. Je fréquentais intensément les musées, les expositions, les vernissages et j’ai été frappé par cette similitude : c’était comme si j’ouvrais de nouveaux livres. En fait, le célèbre recueil de Baudelaire est organisé comme une exposition. Il y a en fait beaucoup de visuel, je dirais même de cadres. J’ai lu les images dans le texte. L’entrée était donc différente.

EH :
On entre dans votre livre à travers un tableau, celui de la couverture qui représente Baudelaire. Courbet et Baudelaire se connaissaient-ils ? On sait que Courbet était très engagé. Et 1848 est une époque de barricades à Paris. Où se situait Baudelaire dans ce contexte ?

FCG :
Bien qu’ayant été aperçu sur les barricades un fusil à la main, Baudelaire s’est éloigné assez rapidement de ce contexte révolutionnaire. Courbet, pour sa part, toujours impliqué, sera contraint de se réfugier en Suisse en 1873. Oui, les deux hommes se connaissaient et la sympathie entre eux était réelle. Cependant, tandis que Courbet était le chef de l’école réaliste, Baudelaire s’affirmait comme romantique. Le peintre a fait ce portrait et l’a offert à Baudelaire qui le trouvait trop réaliste. Je l’ai cependant choisi pour la couverture de mon livre car il représente parfaitement le dandy, l’écrivain pose. J’en profite pour remercier, pour les droits d’autorisation de reproduction de cette toile, le Musée Henri Fabre de Montpellier où il est exposé.

ChC :
Sur le quatrième de couverture, on peut lire que la présentation de l’ouvrage, visuellement et musicalement, rappelle les « tableaux d’une exposition ». Cela correspond-t-il à une organisation d’ensemble particulière ?

FCG :
Oui, cela correspond à mon travail, une entrée du côté musical m’importait. Je vous renvoie au « Thyrse », poème dédié à Franz Liszt dans le Spleen de Paris. La musique s’écoute, un tableau aussi, à condition d’en prendre le temps. Il s’agit de « correspondances » au sens baudelairien du terme : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » comme l’écrit le poète.

EH :
Quel lien entretenez-vous au bout du compte avec Baudelaire, pourquoi l’avoir choisi ?

FCG :
Lorsque j’étais étudiant en Sorbonne, j’avais pensé travailler sur Paul Eluard mais on m’a dit, à cette époque, que c’était trop moderne et qu’éventuellement une inscription serait possible avec Baudelaire dont l’œuvre en effet était majeure en littérature. Mon livre aujourd’hui est construit sur cette œuvre, sans jugement de valeur, je ne suis ni thuriféraire ni sectaire. Je me suis toujours efforcé de garder en tout et pour tout neutralité et lucidité. Ce choix était profondément motivé par mon parcours davantage même que je ne le savais moi-même.

ChC :
Il est question, toujours au dos de ce livre, de l’Ecole de stylistique de Toulouse, ainsi que l’ont qualifiée les « parisiens ». L’ancienne étudiante que je suis et qui en profite pour vous remercier de votre enseignement, perçoit de quoi il s’agit, mais pourriez-vous éclairer davantage les lecteurs ? 

FCG :
La seule revue de stylistique pérenne est celle que j’ai fondée en 1991 avec la complicité de mon collègue et ami, le professeur Michel Ballabriga de Sciences du Langage. Scientifiquement, le comité de rédaction de la revue revendiquait un héritage traditionnel des études littéraires et donc une forme de continuité. Elle s’opposait au positivisme scientifique des années 1970 qui s’était infiltré et imposé dans les disciplines des lettres et sciences humaines.

ChC :
On dirait aujourd’hui que c’était innovant. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

FCG :
Oui, plus que jamais, car elle concerne, méthodologiquement et théoriquement, toutes les disciplines artistiques : musique, peinture, littérature, danse, architecture, sculpture… Lors de la parution des premiers volumes, les recherches reposaient surtout sur des schémas fondés sur des fonctions mathématiques ou statistiques, en linguistique notamment. Pour moi, chaque objet d’art est porteur d’un discours dans la mesure où il a quelque chose à dire à celui qui s’y intéresse. On est dans l’univers du discours ouvert et non dans celui du figement qui est statique et fermé. Le texte est un objet. Dès l’instant où celui qui l’a produit est disparu, tous les sens possibles sont dans le texte puisqu’il n’y a plus de possibilité de modification. Il est donc fermé. L’Ecole de stylistique de Toulouse a, en quelque sorte, rouvert ses portes.

ChC :
Le bandeau promotionnel sur le livre évoque les 150 ans de l’anniversaire de la mort de Baudelaire et la modernité. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

FCG :
Certes non. Jamais il n’y a eu autant d’intérêt pour la poésie baudelairienne, il est le poète français le plus lu aujourd’hui et le plus souvent cité par la jeunesse. On peut s’en étonner. Mais un écrivain n’est pas un ovni qui apporte une lumière nouvelle. Il répète ce qu’il a appris, selon ses héritages, sa formation. Il fait entendre sa voix. Il faut qu’il apporte quelque chose de neuf, c’est la condition de son entrée dans une forme de modernité. Celle de Baudelaire se retrouve partout. C’est son implication dans l’écriture qui touche, son écriture c’est la vie. Il n’a jamais écrit de véritable théorie, de justification de son écriture. Son œuvre n’est pas fermée, elle demeure ouverte. Malgré la disparition de l’auteur, la dynamique ne s’est jamais arrêtée, il reste au cœur de tout ce qui va se faire de nouveau : au-delà de Rimbaud, Mallarmé, Eluard et le surréalisme, il y a les peintres de la réalité poétique, les compositeurs (Fauré, Debussy, Poulenc, Boulez) les chanteurs (Léo Ferré, Georges Chelon, Mylène Farmer, Black Metal)…etc. L’ambition de ce livre est de faire (re) lire Baudelaire. C’est pourquoi d’ailleurs je le présenterai à la Foire du livre de Brive les 10, 11 et 12 novembre prochains. Cette fois-ci, c’est lui qui est exposé dans un « salon », dans la foule, ce qui ne lui aurait sans doute pas déplu.

EH :
Littérature, peinture, linguistique, votre livre est-il, en quelque sorte, pluridisciplinaire ? 

FCG :
Oui, la pluridisciplinarité est déjà chez Baudelaire, consubstantielle à son œuvre mais complexe. Le livre donne à lire Baudelaire dans tout son empan, dans toute sa portée au sens musical du terme. « Les arts aspirent », dit le poète, « sinon à se suppléer l’un l’autre, du moins à se prêter réciproquement des forces nouvelles »

ChC :
Le 3 novembre prochain, vous présentez, avec l’amicale complicité de Pierre Cadars, ancien directeur de la cinémathèque de Toulouse, votre livre dans la librairie « Ombres blanches ». Librairie, foire du livre, vous assurez une sorte de promotion de votre auteur ?

FCG :
Baudelaire n’a pas besoin de mon aide dans ce domaine, mais il m’est apparu important de faire connaître mon travail, inédit dans la démarche. Et puisqu’il est question de foire, rappelons que Baudelaire était un assidu de la Foire du Trône.

EH :
Peut-on dire que votre livre est aussi à destination du grand public ?

FCH :
Oui et non. La première partie peut être lue assez facilement ; on peut ouvrir le livre à n’importe quel endroit et enchaîner sur la section suivante ou précédente, comme on déambulerait dans les salles d’une exposition. Mon livre est une succession de tableaux, pour tous et pour chacun.


Référence de l'ouvrage :
GAUDARD François-Charles, Le Spleen de Paris : « petites babioles » et « bagatelles » de Baudelaire, 452 pages, Collection Champs du Signe, Editions Universitaires du Sud, ISBN 978-2-7227-0151-9.